100% Love de S-Perfume, étrange comme l’amour.

mercredi 30 novembre 2016
par  Lavinia

100% Love , de S-Perfume

100 % Love de 2013, lancé par S-Perfume, est l’un des parfums les plus originaux sorti de la première décennie du siècle. Je m’attendais au pire en raison des ingrédients listés, principalement des groseilles, du chocolat et des roses. Je pensais qu’il s’agissait de l’un de ces parfums gourmands qui me donnent invariablement la nausée avec leurs notes de fruits synthétiques et de chocolat ultra sucré. Pourtant, Sophia Grojsman s’était encore dépassée. Dès le départ, je sentis combien je me trompais : j’avais affaire de tout autre chose que ce que je connaissais. Au milieu de vastes continents exploités, il existe encore des terres inexplorées, où une lumière éclatante, comme celle peinte par Eve Charlouty, fait murir des fruits incomparables.

Eve Charlouty, Au milieu de la terre

D’emblée, ce parfum affiche un panoramique horizontal. La composition de 100 % Love n’est donc pas pyramidale : le premier souffle saisit l’essentiel et ne demande qu’à le retenir. C’est le paradoxe du parfum : très bizarre, certes, voire entièrement déroutant, il se révèle consolateur comme une étreinte dénuée de retenue. Tel l’amour sans condition, sa composition panoramique ne laisse pas de recoins sombres où le doute vient s’immiscer. C’est un baiser ignorant le reste du monde : la pluie, le soleil, la guerre, les rancœurs passées.

Nick Cassavetes, N’oublie jamais, 2004)

Comme les mouvements de caméra, balayant l’horizon du désert, dans Il était une fois dans l’Ouest, le parfum révèle l’étrangeté d’une visibilité totale et du silence qui tombe tout à coup. 

Sergio Leone, affiche du film Il était une fois dans l’ouest

Contrairement au film, toutefois, dans lequel on ne sait d’où vient le danger, le parfum incarne la confiance absolue. Globalement, la première impression dure pendant tout l’évaporation du parfum : une note acide de groseille, très puissante, équilibrée par la douceur de pétales de rose, elles-mêmes poudrées d’un cacao noir amer.

Groseilles

Salé et velouté à la fois, ce cacao permet à la rose, au musc et à la groseille de former un accord doux-amer avec lui. Quelques permutations, lors de l’évolution du parfum, permettent aux roses de s’affirmer davantage. Néanmoins, ces notes délicates restent toujours en retrait, contrairement à ce qui se passe dans les autres parfums de Grojsman. S-Perfume les décrit comme des pétales de velours flottant dans l’eau.

Pétales de rose dans un bol d’eau

En revanche, la pulpe acidulée de la groseille, qui se mélange de plus en plus, avec l’odeur d’encens du labdanum, ne nous quittent jamais. Pas plus que le chocolat, composé de plus de 500 composés odorant, qui se déploie pleinement, jusque dans des notes vertes, florales, fleuries et fruitées, généralement peu exploitées, qui le rendent complètement immangeable. Sophia Grojsman a ainsi eu l’adresse d’attirer notre attention sur les qualités olfactives du cacao, en nous faisant oublier l’objet de gourmandise.

Poudre de cacao

Parallèlement, l’amour à 100% sincère peut s’émanciper du plaisir et se révéler pur, fort et désintéressé, comme dans Maléfique, le dessin animé des Studios Animés de 2014, dans lequel la méchante fée tombe sous le charme de la petite princesse qu’elle avait condamné à mourir pour se venger d’une trahison amoureuse. Elle l’élèvera, puis la sauvera avec le seul baiser d’amour sincère à 100% sûr et sans ambivalence : celui d’une mère.

Maléfique

Sans 100% Love, il n’y pas non plus d’équivoque : son chocolat est un parfum, non une confiserie. Ce phénomène s’explique aisément, mais il fallait y penser. En effet, l’encens et une rose timide, non appétissante, rencontrent le côté très amer des fèves de cacao pures, avant qu’elles ne soient traitées par les chocolatiers ou du moins sucrées. De plus, ils côtoient l’acidité des groseilles brutes, sans que l’art des confituriers s’en mêle. Les fèves sont traitées comme des fruits. C’est donc au parfumeur qu’il revient, comme il se doit, de confectionner chocolat et d’habiller la groseille.

Fèves de cacao

Sophia Grojsman n’aurait pu mieux démontrer quelle est la grossière aberration de la plupart des parfums fruités. Ce ne sont pas les matériaux qui sont en cause. La groseille et le chocolat, élaborés par un grand parfumeur, ont un intérêt purement olfactif. Alors même si l’on peut parler de notes pâtissières par analogie, le parfum n’a pas vocation à faire saliver.

Pâte

Dans le cas de 100 % Love, il y a indéniablement une note de pâte à tarte fraîche, mais elle ne donne pas l’impression que le dessert arrive, à moins qu’il ne s’agisse d’un dessert rêvé dont on ne mange jamais à satisfaction. La place de cette note est d’apporter une douceur profonde à un parfum acidifiée par une baie rouge omniprésente. Mais cette odeur pâteuse reste immangeable, elle aussi, touchée par la fleur de valériane et son odeur médicinale.

Fleur de valérianne

Au final, comme pour Jaïpur, Sophia Grojsman a créé un nouveau fruit pour 100 % love : la groseille rosée roulée dans du cacao, doté d’une surprenante odeur verte, à cause d’une note de lierre très fraîche ainsi que d’arôme vert et résineux attribuable au seul labdanum. C’est cette groseille qui domine le parfum et y déploie toute ses facettes. On se rapproche donc du monochrome, sauf que celui-ci ne possède des reflets changeants, tels certains tableaux de Soulage.

Soulage, 3ème Dimanche

De fait, 100 % love reflète sa groseille olfactive à l’infini, tel un kaléidoscope, qui nous permet de regarder, par un tube de miroir, les couleurs de la lumière extérieure, sans que ces images nous donnent accès aux objets dont elle proviennent. D’ailleurs, des fragments mobiles de verres colorés sont intégrés dans certains modèles de kaléidoscope afin que des bribes de jolies images se combinent à l’infini.

Carmen Sledge, Kaleidoscope paintings

De même, la structure de 100 % Love repose sur une combinaison d’odeurs, qui réorganisent leurs qualités entre eux selon leurs homologies. Ainsi l’acidité, la fraîcheur et la douceur commune aux fruits, aux fleurs et au cacao se réajustent à chaque instant. C’est pourquoi la forme de base, l’accord doux-amer du parfum, ne change jamais, mais ne fait que montrer la richesse des accords tissés entre un petit nombre d’éléments contrastés. Il s’agit là des multiples facettes d’un grand amour qui dépend du chatoiement de sentiments pour affirmer sa plénitude. Vers la fin, la sensualité du labdanum ajoute une touche d’exotisme qui fait encore ressortir la subtilité de la rose anormalement muette, parce que transie d’amour.

Ciste labdanum

Autre parallèle avec le kaléidoscope : l’amour donne lieu à des projection sur l’être aimé dont on scrute les réactions les plus infimes à la recherche de je ne sais quel mystère. Si l’amoureux projette ses impressions sur le visage ou le corps de l’être aimé qu’il ne comprendra jamais parfaitement, au désespoir du narrateur D’À la recherche du temps perdu, il peut en éprouver de l’amertume, comme si on demandait aux images déformées d’un kaléidoscope de ressembler aux choses dont elles proviennent. Rien de tout cela, cependant, dans 100 % love où l’aigre-douceur est pur plaisir.

Quai des Brumes

Ce parfum décrit, en effet, un sentiment très entier. Une rose amoureuse se poudre voluptueusement le velours des pétales avec du cacao sec. Elle s’en va rejoindre, ainsi fardée, la pulpe rouge-sang d’une groseille astringente, dont le cœur s’ouvrira devant tant de finesse. On ne le dira jamais assez : les contraires s’attirent. En parfumerie, ce sont les overdoses, ici la groseille, et les contrastes osés, la bizarrerie des accords de 100 %, qui sont à l’origine des grandes œuvres. C’est ainsi, en effet, qu’un mélange de produits chimiques rentrent dans le monde de l’art.

Rose délicate

Fard marron et rose

Ce parfum a un beau sillage mais il ne tient pas longtemps à moins d’y mettre la dose. Les roses ont la délicatesse d’une aquarelle et 100 % est à la fois puissant, par moments, et translucide, comme les pétales dans l’eau qu’évoquait s-perfume. Avec ce genre de beauté rêveuse, caressante et douce, il ne faut pas se refuser le plaisir de se parfumer autant qu’on le souhaite. J’aime beaucoup porter ce parfum l’automne par jours de pluie, à cause du réconfort qu’il procure avec ses notes de rouge et de rose. Si je peux me permettre de rester chez moi, ce parfum est idéal : il donne une douce aura fruitée, cacaotée, et ne remplit pas les pièces d’un sillage déplacé dans l’intimité.

Truffes au chocolat amer et aux roses

Notes de tête et de cœur :

Musc, Groseille, Lierre, Rose Bulgare, Rose Turque

Notes de cœur et de fond :

Labdanum, Cacao, Pâte à tarte crue et Fleur de valériane


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