Lonestar memories : Cuir du Far West

samedi 27 janvier 2018
par  Lavinia

Lonestar memories d’Andy Tauer (2017) (photo sur mon compte instagram)


Andy Tauer décrit son eau de toilette, Lonestar memories, comme une ode au goudron de bouleau. Sa senteur de bois fumé, âcre et chaude, en effet proche du goudron, nous est déjà connue, car très présente dans les parfums cuirés, tels Cuir de Russie de Chanel, Knize ten de Knize ou Black de Bvlgari.


Goudron de bouleau (fr.nextews.com)


Toutefois, Lonestar memories me rappelle plutôt Cuir de Russie de Guerlain – un hommage tout aussi excessif à ce matériau. Il s’agit donc réellement d’un retour sur les lieux d’un crime, comme dans le film Lone Star, car le parfum de Guerlain a l’odeur d’un magasin de chaussure en feu. Lancé en 1872, j’ai d’ailleurs du mal à m’imaginer qui pouvait bien le porter à l’époque. Certes Tauer ne connaît peut-être ni le parfum, ni le film dont je parle, mais les parallèles existent tout de même.




Si l’on regarde les notes de Cuir de Russie, la composition de Tauer remplace la lavande et les herbes de Provence par de la sauge et l’iris par des graines de carottes, mais contient aussi du labdanum en note de cœur et un accord boisé-ambré en notes de fond, la civette et le musc en moins. Car même si Tauer ne se situe plus dans la tradition des cuirs de Russie, qui a eu son temps, Lonestar memories évoque à sa façon les feux de camp, la vie au grand air et la nature sauvage.



Feu de camp


Cependant, le rendu global diffère : Lonestar memories nous fait passer de la Russie impériale au Far West et des bottes des Cosaques, piétinant les braises ardentes, aux vieilles vestes des Cow-boys arpentant la prairie. A vrai dire, dans les deux cas, l’odeur du cuir de vachette avec son côté dru, masculin, décidément puissant, reste à l’honneur.



Cow-boy leather jacket (luulla.com)


Cependant, Lonestar memory, lancée en 2006, se situe aussi dans la continuité de son deuxième parfum, L’air du désert marocain de 2005, qui fit son succès. Tauer en reprend bien des éléments dans sa troisième création, notamment le ciste, le vétiver, le bouleau, le géranium et le jasmin. Le thème des grands paysages secs reste le même, mais décliné sur un autre mode : celui du Far West non celui du Maghreb. Il en ressort quelque chose de plus frais et je dirai globalement plus aéré en vertu d’un accord à la fois boisé et herbacé auxquels le cuir est adossé.



Sergio Leone, The Good, the Bad and the Ugly (1966)


Tout se passe, en effet, comme si le vétiver, en note de fond, avec ses facettes terreuses, fines et fumées, dessine le décor poussiéreux, boisé d’arbustes secs, dans lequel évolue le cow-boy solitaire.


Vétiver (biolandes.com)


Le vétiver rejoint la sauge sclarée, herbacée et amère, sentant un peu la lavande, citée en note de tête, qui évoque elle aussi le grand air, tout en possédant une facette cuirée et camphrée.



Sauge sclarée sauvage (frpuressentiel.com)


Entre les deux, en notes de cœur, le goudron de bouleau, appuyé par le ciste ambré, cuiré, profond et animal, prend une nouvelle ampleur. Sa fumée âcre s’étire entre des notes aromatiques et des résines chaleureuses. Aussi les modulations de la note cuirée rythment tout le parfum comme la chevauchée sauvage d’un cow-boy traversant des contrées arides leur donne une dynamique.



Bite the Bullet (La chevauchée sauvage) (1974)


Toutefois, Lonestar memory ne commence nullement avec cette vision panoramique, mais par une note de cuir puissante et ardente, mais trop brutale, comme le disent certains, comme si on entrait dans un western alors que brûle le feu de camp.



Feu de camp


Puis le jour succède à la nuit, et, dans une deuxième phase, se découvrent une note de géranium terpénique, comme de nombreuses plantes, telles le houblon ou le cannabis ou encore le pin, qui donne un aspect vert, herbacé et légèrement rosé à la composition.



Géranium sauvage américain (chezmarie.nutix.net)


Avons-nous levé camp ? Tout semble l’indiquer. Car, dans une troisième phase, la senteur du goudron de bouleau se construit autour du ciste ambré, chaud, résineux et animal. Celui-ci évoque la fumée d’encens mais aussi les arbrisseaux qui survivent sur des terres arides. On sent aussi des herbes sèches et amères. Nous sommes donc partis.



Ciste et rocailles


Chemin faisant, le cow-boy sent la veste cuir usée au milieu de la nature sauvage. Du moins est-ce là l’effet rendu car les notes de fond qui se manifestent assez tôt. Aussi les facettes de tabac et de foin de la coumarine font penser au côté rassurant d’un vieux vêtement bien usé dont l’odeur renvoie aux souvenirs qu’on transporte avec nous.



Cowboy assis près d’une meule de foin


Dans le cas du cow-boy, on imagine aisément les cigarettes fumées, le foin distribué, les herbes résineuses qui s’accrochent à sa veste, le soleil qui la brûle et sa propre odeur animale suggérée par le ciste et les notes ambrées. L’eau de toilette se montre donc chaleureuse à nouveau, mais, cette fois emprunte de la douceur du bois de santal, de la fève de tonka et de la myrrhe.



Clintwood cigare à la bouche dans The Good, The Bad and The Ugly


En tout fin de parcours, cette myrrhe balsamique, ce santal onctueux et cette coumarine vanillée collent à la peau comme l’odeur d’un vêtement qu’on a longtemps porté, imprégné par sa peau et des activités auxquelles on s’est livré.



Veste en cuir (vintage années 60)


Globalement, ces notes se montrent suaves et caressantes. Il faut dire, qu’en filigrane, Lonestar memories possède un accord fleuri, moins présent que celui de la plupart des cuirs souples, évoquant plutôt les fleurs sauvages que les fleurs coupées : des graines de carotte avec un relent de violettes ; du géranium rosée-citronnée dont la facette menthée renjoint la sauge ; enfin, du jasmin dont ressort la facette ensoleillée de fleur d’oranger.



Graines de carotte (potagerdantan.com)



Jasmin grandiflorum


Alliées avec ces fleurs, la fève de tonka et la myrrhe viennent patiner la veste de cuir d’un léger parfum fleuri.



Fèves de tonka (biolandes.com)



La myrrhe (olfactory.com)


Plus avant, il y a là aussi des notes de parfums poudrés. Déjà les graines de carottes, en notes de tête, ont une odeur poudrée et balsamique proche de l’orris ; puis la fève de tonka renforce cette nuance et le santal opère la jonction entre les notes boisées, balsamiques et poudrées.







Notes poudrées/sec : Fèves de tonka moulues (gauche) (ilesauxepices.com) et Bois de santal en poudre (droite)(maplanèrebeaute.fr))


Pour résumer, dans Lonestar memories, Andy Tauer a joué sur quatre tableaux chacun contenant plusieurs dimensions : le caractère acerbe et sec du cuir avec ses notes fumées ; un accord de fond boisée dont se dégagent ses mêmes notes plus quelque chose de la rude nature du cow-boy et son milieu ; l’aspect balsamique de ‘vieille veste réconfortante’ doté d’un côté poudré ; enfin, une facette herbacée, citronnée et fleurie, qui renvoie non seulement au cuir, mais aussi au paysage dans lequel le cowboy esseulé ramasse ses souvenirs.



Lonestar (1996) de John Sayles


Mais dans tout cela le goudron de bouleau n’est jamais oublié, car l’eau de toilette de Tauer exploite toutes ses possibilités. Techniquement, en effet, son odeur de cuir fumé fait partie du groupe de senteurs phénoliques sèches et âcres, mais, toutefois, le goudron de bouleau possède aussi des facettes résineuses ou balsamique, ainsi que terpéniques, comme de nombreuses plantes, telles le houblon ou le cannabis, ou encore le pin et le géranium. C’est ce qui a permis à Tauer de composer un cuir acre et fumé, mais aussi ambré, aromatique et même poudré/sec.



Production moderne de goudron de bouleau (wikipédia)

Note ambrée (esteban.fr)


Le sillage de Lonestar memories est étonnamment fusant. Seules les notes de départ étant violentes, cette eau de toilette se porte en toute occasion, même en milieu professionnel. Personnellement, je préfère les parfums cuirés en automne ou en hiver, sauf que je ne les mets jamais avec mon blouson en cuir qui sent déjà suffisamment la biquette. Plaisanterie à part, Lonestar memories est surtout un parfum qui sent bon le cuir chaud, tout en restant tonique, comme le vent dans la prairie, en raison de l’accord herbacé/citronné/fleuri.



Riley, Grassland, (thinglink.com)


On ne se sent donc pas obligé de prendre garde à sa tenue vestimentaire, bien que je préfère le porter avec des couleurs sombres, l’hiver, histoire de leur donner un peu d’entrain avec ces notes fraîches, tout en gardant le caractère profondément mélancolique d’une étoile solitaire, vêtue de noir, au milieu de nulle part.



The Lonesome Trail (1955) de Richard Bartlett


Notes de tête :

Graines de carotte, Géranium et Sauge Sclarée


Notes de cœur :

Jasmin, Cuir et Ciste


Notes de fond :

Bois de Santal, Tonka, Vétiver et Myrrhe


Nota Bene : Dans les westerns, le thème de la solitude, qui touche tous les créateurs, est récurrent. J’en veux pour preuve : The Lone Gun (United Artists, 1954) ; The Lone Hand (Universal, 1953) ; Lonely Are The Brave (Universal, 1962) ; The Lonely Man (Paramount, 1957) ; The Lonesome Trail (Lippert, 1955) ; Lone Star (MGM, 1952 et Columbia, 1996) ; The Lone Texan (Fox, 1959) ; sans parler du personnage du justicier exemplaire, dit The Lone Ranger, connu de tous les américains, qui a été créé dans un feuilleton radiophonique de Fran Striker en 1933 et repris dans une série télévisée de 1949 à 1957.



Prairie nord-américaine (jardinsnonremarquables.wordpress.com)